Évolution d'Internet et du Web
Dans sa conceptualisation, l'histoire de l'Internet et du Web remonte aux années 40 lorsque Vannevar Bush a rêvé d'un univers de documents interconnectés en réaction à l'explosion documentaire qu'il observait. Bien qu'il n'ait pas lui-même inventé le terme "hypertexte", c'est une des premières instances de ce concept. Dans sa concrétisation technique, c'est dans les années 60 que le premier nœud de ce qui deviendra Internet a été mis en place par l'équipe de Tim Berners Lee.
On remarque que le délai entre les dates importantes se raccourcit plus le temps avance. En fait, cette observation peut se faire plus globalement lorsque l'on observe l'adoption des technologies. Ceci est évident si on compare le temps pris pour atteindre 50 millions d'auditeurs pour certaines technologies marquantes dans notre histoire : la radio a pris 38 ans, la télévision 13 ans, Internet 4 ans, le iPod 3 ans, et Facebook 2 ans (source : Did you know 3.0? 2012, http://www.youtube.com/watch?v=YmwwrGV_aiE; il est à noter que d'autres sources donnent des chiffres un peu différents, par exemple https://twitter.com/Guglielminetti/status/919245063967911937, mais une tendance similaire est observable).
Si le rythme est essoufflant pour l'utilisateur qui veut rester à jour, il l'est encore plus pour les organisations dont les activités sont étroitement liées avec ces environnements numériques. Cela leur demande d'être de plus en plus agiles dans leur intégration des technologies et de s'habituer aux changements perpétuels, ce qui n'est pas toujours facile d'un point de vue humain et organisationnel.
L'histoire d'Internet et du Web est jalonnée de moments clés qui seront décrits dans les sections qui suivent.
Internet
D'entrée de jeu, il est important de bien comprendre que les termes Internet et Web ne sont pas synonymes! On retrouve parfois une certaine confusion entre les deux termes. Plus précisément, on peut définir Internet ainsi :
A huge computer network available to everyone with a personal computer and a means to connect to it. It is the actual physical network made up of wires, cables, and satellites as opposed to the web, which is the multimedia interface to resources available on the Internet.
(Source : O'Leary et al.[1], 2019, p. 367)
Le Web est ainsi une des sphères d'Internet, Internet étant un réseau plus large regroupant différentes sphères (Web, courriel, FTP, etc.).
Internet est né d'une initiative militaire américaine. Le premier nœud du réseau ARPANET (Advanced Research Project Agency Network) à l'origine d'Internet a été mis en place en 1969. Avant l'apparition du Web, les échanges sur Internet étaient uniquement textuels. Leiner et al. (1997)[2] précisent qu'une des clés du développement rapide d'Internet est le fait que la documentation, et plus particulièrement les spécifications et les protocoles, était accessible gratuitement et librement.
Web
Comme précisé dans la section précédente, le Web est une interface graphique à des contenus sur Internet :
Prior to the introduction of the web in 1992, the Internet was all text. The web made it possible to provide a multimedia interface that includes graphics, animations, sound, and video.
(Source : O'Leary et al.[1], 2019, p. 377)
Au cœur du Web se retrouve l'idée des documents interconnectés proposés en 1945 par Vannevar Bush. Dans son texte "As We May Think",[3] il propose l'idée d'une machine, nommée MEMEX, pour résoudre les problèmes liés à l'explosion documentaire. Cette dernière serait en effet en mesure de ranger et rendre accessible tous les documents en permettant :
La visualisation des documents sur microfilm sur un écran, documents pouvant être complétés par des images;
La localisation des documents;
L'inclusion de pistes associatives entre les documents.
Le néologisme "hypertexte" a été proposé par le philosophe et sociologue américain Theodore Nelson en 1965. Nelson est à l'origine du projet Xanadu dont l'objectif était de regrouper tous les documents de l'humanité. Ce système, accessible à tous, permettrait l'ajout de documents et la définition de liens entre ces derniers. Au départ, il s'agissait uniquement d'une conceptualisation sans implémentation. Depuis, des démonstrations ont vu le jour après bien des années, dont OpenXanadu en 2014[4].
Le premier logiciel hypertexte grand public, créé par Bill Atkinson, est HyperCard (Apple) en 1987, logiciel dont le développement s'est terminé en 1998. Il permettait de présenter des contenus multimédias sur des fiches virtuelles cartonnées, cartes qui pouvaient être liées entre elles par des boutons. Pour les curieux et les curieuses (ou les nostalgiques!), Internet Archive a mis en ligne en 2017 pour fêter les 30 ans d'HyperCard une collection de projets HyperCard.
Finalement l'application la plus connue du modèle hypertextuel, le Web, a été créée au CERN par l'équipe de Tim Berners-Lee en 1989. Il s'agit d'une version "allégée" des visions initialement proposées pour l'hypertexte entre autres par T. Nelson et V. Bush :
Absence de gestion des droits d'auteur;
Liens unidirectionnels se cassant lorsque la ressource disparaît;
Absence d'aperçu des ressources liées;
Absence de système d'annotation et de gestion de versions.
Le Web est passé par différentes phases (Web 1.0, Web 2.0 et Web 3.0) qui seront décrites dans les sections subséquentes.
Web 1.0 : Les premières années "statiques" du Web
La "première version du Web", le Web 1.0 en quelque sorte que certains désignent comme un Web de documents, correspond à un Web où un petit nombre d'internautes étaient des créateurs de contenus, cette création demandant en effet des compétences informatiques plus avancées. La majorité des internautes était ainsi des observateurs pouvant chercher parmi les informations existantes et les consulter. Maignien (2014)[5] le compare à une bibliothèque distribuée sans murs :
Le modèle documentaire est alors clairement celui d'une bibliothèque distribuée, sans murs, autrement appelée bibliothèque virtuelle ou numérique, mais où l'information n'est pas classée de façon hiérarchisée, dans un arbre, mais distribuée en graphe (il existe autant de relations non hiérarchisées que de liaisons possibles entre les documents ou des parties de ces documents).
(Source : Maignien, 2014, p. 78)
Web 2.0 : Le Web participatif
La génération suivante, le Web 2.0, est un phénomène à la fois technologique et social, ce que fait bien ressortir cette définition :
Web doté d'outils et de contenus interactifs qui permettent aux internautes de participer à la création de contenus Web, de partager de l'information en ligne et de communiquer entre eux.
(Source : Grand dictionnaire terminologique, 2018, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26519897)
Les mots-clés ici sont "participer", "création de contenus" et "partager". Certains services et certaines technologies phares sont associés au Web 2.0.
Services/Technologies | Définition | Exemples |
---|---|---|
Blogues | "Site Web ou section de site Web généralement tenus par une seule personne, consacrés à une chronique personnelle ou à une thématique particulière présentées sous forme de billets ou d'articles." (OQLF, 2018, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8370242) | |
Microblogues | "Blogue permettant de communiquer en temps réel au moyen de messages courts de 140 à 240 caractères, le plus souvent par l'intermédiaire d'une plateforme de microblogage, afin de partager de l'information avec une communauté d'internautes. " (OQLF, 2018, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26502311) | |
Wikis | "Site Web collaboratif où chaque internaute visiteur peut participer à la rédaction du contenu. " (OQLF, 2011, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8362053) | |
Réseaux sociaux | Environnements où l'utilisateur se définit un profil (personnel ou professionnel) et réseaute avec d'autres utilisateurs | Facebook (personnel) LinkedIn (professionnel) |
Plateformes de partage de ressources | Plateformes facilitant la composition de collections de ressources diverses et le partage de ces dernières | Flickr (photographies) YouTube (vidéos) Slideshare (présentations powerpoint) |
Fils de syndication | "Fil d'information consistant en un fichier XML, généré automatiquement, dont le contenu formaté, exploitable dynamiquement par d'autres sites Web, est récupérable par l'entremise d'un agrégateur qui permet de lire le nouveau contenu de ce fil répertorié, dès qu'il est disponible." (OQLF, 2006, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8869144) | Formats les plus connus : RSS et ATOM |
Folksonomies | "Système de classification collaborative et spontanée de contenus Internet, basé sur l'attribution de mots-clés librement choisis par des utilisateurs non spécialistes, qui favorise le partage de ressources et permet d'améliorer la recherche d'information." (OQLF, 2006, http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8351986) | Se retrouvent par exemple sur les plateformes de partage de ressources pour décrire les ressources ou sur les blogues pour décrire les billets |
L'expression Web 2.0 a été utilisée pour la première fois en 2004 par l'équipe d'O'Reilly Media qui, reprenant la métaphore des numéros de version pour les logiciels, voulait indiquer une version améliorée du Web. Certains lui préfèrent maintenant l'expression Web social qui est en effet une de ses principales facettes. À ses débuts, certains voyaient le Web 2.0 comme un effet de mode et, à l'autre extrême, d'autres le percevaient comme un changement de paradigme. Les chiffres, qui croissent d'année en année, montrent sans l'ombre d'un doute qu'il ne s'agissait pas d'un effet de mode.
Type | Plateforme | Chiffres | Source |
---|---|---|---|
Partage de ressources | Plus d'un milliard d'utilisateurs | https://www.statista.com/statistics/272014/global-social-networks-ranked-by-number-of-users/ (2021-02-01) | |
YouTube | Plus de 2 milliards d'utilisateurs Un milliard d'heures regardées par jour | https://www.youtube.com/intl/fr/about/press/ (2021-02-01) | |
Réseaux sociaux | Plus de 645 millions d'utilisateurs Plus de 200 pays et territoires | https://about.linkedin.com/fr-fr (2021-02-01) | |
Plus de 3 milliards d'utilisateurs Plus de 100 milliards de messages par jour | https://about.fb.com/company-info/ (2021-02-01) | ||
Rédaction collaborative | Wikipédia | 55 741 577 articles 2 294 825 articles en français 306 langues actives | https://meta.wikimedia.org/wiki/List_of_Wikipedias (2021-02-01) |
Micro-blogosphère | 353 millions d'utilisateurs | https://www.statista.com/statistics/272014/global-social-networks-ranked-by-number-of-users/ (2021-02-01) |
Si on peut hésiter à parler d'une révolution, il s'agit très clairement d'une évolution tant des technologies que de leur utilisation. L'internaute a maintenant à sa portée des technologies qui lui permettent de passer, s'il ou elle le désire, d'un rôle uniquement d'observation à un rôle de création, que ce soit dans ses activités personnelles ou professionnelles. Les internautes utilisent le Web 2.0 sur une base personnelle, mais aussi professionnelle, dans un cadre public ou privé, que ce soit pour informer et s'informer (à la « Web 1.0 »), mais aussi pour collaborer, réseauter ou échanger dans le cadre de leurs activités.
Dans l'univers du Web 2.0, on observe que les sphères publique et privée, personnelle et professionnelle deviennent perméables, leurs frontières étant plus floues. Par exemple, certains blogueurs mélangent parfois anecdotes personnelles et réflexions liées à leur travail sur leurs blogues. Le caractère privé de certaines formes d'expression, comme les journaux intimes, s'ouvre à la sphère publique, par exemple sur les blogues et les réseaux sociaux.
Adoption du Web 2.0 au Québec
L'utilisation faite des technologies du Web 2.0 est aussi tributaire du contexte des internautes. Une fracture numérique existe toujours pour certaines régions ou certains pays ayant un accès limité à ces plateformes pour des raisons économiques ou sociales. Au Québec, la population est globalement branchée et active sur les réseaux sociaux comme le montrent les résultats de l'enquête NETendances du Cefrio :
En 2018, la presque totalité des adultes québécois (95 %) détient au moins un des cinq appareils électroniques suivants : ordinateur (portable ou de table), téléphone intelligent, tablette électronique, bracelet d'exercice connecté et montre intelligente.
(Cefrio. 2018. NETendances 2018 : Portrait numérique des foyers québécois. Volume 9, no 4, p. 7. https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2020/12/netendances-2018-portrait-numerique-des-foyers-quebecois.pdf)
En 2018, 83 % des adultes québécois utilisaient au moins un réseau social dans le cadre de leur utilisation personnelle d'Internet, ce qui représente une hausse notable de 16 points de pourcentage par rapport à 2016.
(Cefrio. 2018. NETendances 2018 : Usage des médias sociaux au Québec. Volume 9, no 5, p. 6. https://transformation-numerique.ulaval.ca/wp-content/uploads/2020/09/netendances-2018-usage-medias-sociaux.pdf)
On retrouve plusieurs initiatives d'exploitation des plateformes 2.0 entre autres au sein des institutions culturelles québécoises.
Initiatives | But(s) |
---|---|
Projets Wiki de BAnQ | « Ces projets visent à mettre en valeur les fonds et les collections de BAnQ, à rendre disponibles aux wikimédiens les ressources numérisées de l'institution et à contribuer à l'enrichissement des articles de Wikipédia (et ses projets frères) concernant le Québec, le Canada français et, plus largement, l'Amérique française. » |
Projets Wiki de la Cinémathèque québécoise https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikipédia:Cinémathèque_québécoise | « La Cinémathèque québécoise s'investit dans la production et la diffusion de connaissances libres sur le cinéma québécois. Depuis septembre 2017, nous organisons notamment des activités citoyennes dans le but d'enrichir les projets Wikimédia dans ce domaine. » |
Café des savoirs libres | « Le Café des savoirs libres est un collectif montréalais de bibliothécaires, enseignants, chercheurs et autres passionné(e)s qui organise des rencontres de partage, des projets et des événements autour des savoirs libres et des communs numériques. » |
(Source d'inspiration : compte-rendu de la conférence-midi du 21 septembre 2017 sur la culture ouverte et le savoir libre par @bibliomancienne (Marie D. Martel) https://bibliomancienne.com/2017/09/22/culture-ouverte-et-savoir-libre-a-lebsi-sqil-copibecpasenmonnom/)
Web 3.0 : Le Web sémantique
Le World Wide Web Consortium (W3C) définit le Web sémantique ainsi :
The Semantic Web provides a common framework that allows data to be shared and reused across application, enterprise, and community boundaries. It is a collaborative effort led by W3C with participation from a large number of researchers and industrial partners.
L'idée centrale de ce qu'ils identifient comme un Web de données est celle d'un Web où les documents sont « enrichis » de manière à les rendre compréhensibles non seulement aux humains, mais aussi aux machines pour en faciliter la réutilisation. Cet enrichissement se fait à l'aide de métadonnées[7] permettant de décrire différents aspects des documents (par exemple, l'auteur, la date de création).
En fait, les folksonomies du Web 2.0 représentent une certaine couche « sémantique » ajoutée aux ressources et illustre le potentiel du « Web sémantique » en ce qu'elles permettent la création de nouvelles connaissances; « certaine » car c'est souvent une sémantique plus personnelle que collective qu'on y retrouve comme les étiquettes que l'on met à des photos sur Flickr par exemple. À un certain moment, parmi les étiquettes les plus populaires sur Flickr se retrouvait le mot "me" comme plusieurs utilisateurs l'employaient pour les photos où ils se retrouvaient!
Les applications composites – ou les mashups – que l'on retrouve sur le Web 2.0 démontrent l'intérêt du croisement de diverses données. Pensons par exemple à la possibilité d'explorer les photos déposées sur Flickr à l'aide d'une carte (https://www.flickr.com/map). La carte créée est le résultat du croisement des étiquettes géographiques apposées par les utilisateurs de Flickr à leurs photos avec une carte.
Cette idée d'ajouter aux documents du Web une couche sémantique pour en faciliter le partage et la réutilisation est attribuée à Tim Berners-Lee. Une des premières mentions de cette idée lui est attribuée lors de l'International World Wide Web Conference en 1994. Le Web sémantique est ainsi une extension du Web que l'on connaît par l'ajout de cette couche sémantique et le développement de technologies permettant de l'exploiter. Différents standards y sont rattachés que Bermès et coll.[8] (2013, p. 28) décrivent ainsi :
Ainsi, le Web sémantique a pour objet de fournir des standards qui vont rendre possible ce Web plus intelligent et plus efficace. Ces standards incluent le modèle RDF (*), des outils comme RDFS (*) (RDF Schema) et OWL (*) (Web Ontology Language) pour décrire la sémantique et la logique des données, et aussi des standards pour manipuler et traiter les données, comme SPARQL (*), le langage et protocole de requête de RDF.
Dans leur ouvrage, ces auteurs s'intéressent au Web sémantique en bibliothèque et espèrent réussir par cet ouvrage à "mobiliser vos [bibliothécaires] compétences d'analyse de l'information et de traitement des données pour vous [bibliothécaires] montrer comment elles peuvent être mises en valeur dans le nouvel environnement apporté par le Web sémantique." (Bermès et al., 2013, p. 13). Comme Da Sylva[9] le précise (2017, p. 28), Bermès et al. dans leur ouvrage reconnaissent le rôle des bibliothèques dans le Web sémantique, rôle en continuité avec leurs missions et leurs activités traditionnelles. Il importe ainsi comme professionnelles et professionnels de l'information d'en connaître les bases et tout particulièrement les types de données qu'on y retrouve, soit les données ouvertes liées décrites plus loin dans les notes de cours.
Exemple : Google Knowledge Graph
Un exemple du Web sémantique que l'on croise fréquemment dans nos recherches sur le Web est le Google Knowledge Graph. En effet, on voit apparaître lors de certaines recherches dans le moteur de recherche Google un encart à la droite de la liste des résultats retournés qui présente des informations souvent factuelles en lien avec la recherche. C'est le cas par exemple si vous faites une recherche sur une personnalité connue ou un pays. Cet encart est produit par la mise en relation de plusieurs jeux de données distincts en lien avec l'objet de votre recherche. C'est un exemple du potentiel du Web sémantique qui permet, par la couche sémantique ajoutée à certaines données, de générer de nouvelles données (les encarts de Google Knowledge Graph). Plus d'informations sur cette fonctionnalité sont disponibles sur le blogue de Google à l'URL https://googleblog.blogspot.com/2012/05/introducing-knowledge-graph-things-not.html.
Culture informationnelle et numérique sur le Web
Le Web, par les plateformes et services qu'il propose, vient modifier la culture numérique[10] et informationnelle[13] des internautes. Le Web 2.0, par exemple, en facilitant la création de contenu et la participation, amène les internautes qui y contribuent à développer une culture informationnelle basée sur le partage de l'information. Certains disent que le Web 2.0 a ainsi démocratisé la création du contenu, une affirmation qu'il nous semble important de nuancer comme un fossé numérique[11] existe encore pour certaines populations, auquel s'ajoute une certaine fracture sociale. En effet, même en ayant accès au Web, ce ne sont pas tous les internautes qui sont prêts et sont en mesure de participer activement à la création de contenu. Li & Bernoff (2011)[12] proposent une échelle décrivant sept niveaux d'interaction avec le Web, l'échelon 1 étant celui avec le moins d'interaction et l'échelon 7, celui avec l'interaction la plus intense :
Échelon | Profil | Caractéristiques |
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7 | Créateur |
|
6 | Causeur |
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5 | Critique |
|
4 | Collectionneur |
|
3 | Social |
|
2 | Spectateur |
|
1 | Inactif |
|
Plusieurs enjeux peuvent être soulevés en lien avec la culture informationnelle et numérique sur le Web dont les quatre suivants :
Enjeu 1 : Journalisme citoyen
On observe, par l'accessibilité de plus en plus grande des plateformes Web, l'apparition d'un « journalisme citoyen » où l'individu impliqué dans certains événements se sert des plateformes sociales pour diffuser ses pensées sur l'actualité, en parallèle des médias de masse traditionnels. Le message ainsi partagé contourne les filtres potentiels des médias de masse. Ceci ne veut toutefois pas dire que l'information ainsi publiée est exempte de biais; cette forme d'auto-publication, en l'absence de validation, transfère le rôle de validation au lecteur qui doit pouvoir distinguer les fausses nouvelles des vraies.
Enjeu 2 : Réutilisation de l'information
La culture de partage de contenu s'accompagne de pratiques de « remixage » où les internautes utilisent et réutilisent les contenus. Cette réutilisation ne se fait pas toujours dans le respect de la propriété intellectuelle et des droits des auteurs. Pour certains, les lois sur les droits d'auteur sont trop restrictives et viennent en contradiction avec cet esprit de partage. On a ainsi vu au fil des ans se développer des cadres moins restrictifs que les lois sur le droit d'auteur afin de faciliter ce « remixage » et respecter ainsi l'esprit du Web 2.0. Mentionnons à cet égard le Copyleft (gauche d'auteur) et les autorisations Creative Commons qui permettent aux auteurs d'accorder certains droits de réutilisation de leur contenu. N'en demeure pas moins que cette évolution des droits d'auteur doit, à notre avis, s'accompagner d'une sensibilisation des internautes sur le respect des droits d'auteur.
Enjeu 3 : Identité numérique[14] et réputation numérique[15]
Un enjeu important réside dans les traces laissées par l'internaute sur le Web qui concurrent à lui construire une, voire des identités numériques, ce qui n'est pas sans conséquence. Que ce soit volontairement ou non, tout internaute laisse sur le Web des traces, en commentant des blogues, en mettant des photos sur le Web, en ayant un profil public sur Facebook, traces qui pourront servir à la communauté pour se faire une opinion sur lui.
Cette réputation numérique peut parfois les desservir s'ils ne sont pas attentifs aux traces qu'ils laissent. De nombreuses histoires existent d'Internautes n'ayant pas obtenu un emploi, ou ayant perdu leur emploi, pour des photos disgracieuses sur le Web ou pour avoir émis une opinion négative sur son employeur sur la place publique. Le phénomène n'est pas nouveau; le Web 2.0 vient simplement l'amplifier et le compliquer.
Les difficultés proviennent en partie de l'évolution de la notion de sphère publique et de sphère privée. Certains internautes perçoivent comme privées certaines plateformes sans se rendre compte que, comme elles sont ouvertes, l'information qui s'y trouve devient publique.
Ceci se complique du fait que l'information est facilement repérable et récupérable sur le Web et circule très rapidement. Les traces sont presque permanentes. Le "droit à l'oubli" n'est pas un droit automatique dans le Web actuel et l'internaute qui veut rétablir sa réputation numérique n'a pas la tâche facile; des compagnies offrent même maintenant des services afin d'effacer les traces.
À l'opposé, la conscience des auditoires multiples qu'ont certains internautes peut les amener à développer des « personnalités numériques » multiples modulant, selon les occasions, les traces laissées. Un adolescent ayant dans son profil Facebook ses parents comme amis et en étant conscient – ce qui n'est pas toujours le cas – n'y interviendra pas de la même manière qu'un autre inconscient de leur présence ou ne les ayant pas inclus dans son réseau social. Un même individu pourrait ainsi avoir plusieurs « visages » 2.0 rendant difficile à l'observateur extérieur l'identification de sa vraie personnalité.
Enjeu 4 : Effet générationnel
Comme dernier enjeu, nous pouvons penser aux différences générationnelles qui existent dans l'utilisation des médias sociaux. Force est de constater, comme le montrent certaines études sur l'utilisation des technologies de l'information, que différentes générations utilisent le Web différemment. En fait, ce n'est pas uniquement le Web, mais les technologies de l'information en général. Le regard que l'on porte sur ces dernières peut entre autres être influencé par notre génération. Par exemple, les personnes nées avant l'apparition de la téléphonie mobile auront eu comme première utilisation des téléphones un contexte très privé (à la maison), les téléphones étant fixes. Cette conception de l'usage d'un téléphone pourrait se révéler très différente pour quelqu'un n'ayant connu que la téléphonie mobile. On retrouve aussi cette potentielle différence de perspective du numérique entre les personnes natives numériques[16] (digital natives) et les personnes dites immigrantes numériques[17] (digital immigrants).
Se côtoieront dans la société des gens ayant une culture et des pratiques informationnelles différentes ainsi que des attentes diversifiées. Les organisations doivent en prendre conscience et évaluer le meilleur moyen de rejoindre ces différences.