Culture informationnelle et numérique sur le Web

Le Web, par les plateformes et services qu'il propose, vient modifier la culture numérique[1] et informationnelle[2] des internautes. Le Web 2.0, par exemple, en facilitant la création de contenu et la participation, amène les internautes qui y contribuent à développer une culture informationnelle basée sur le partage de l'information. Certains disent que le Web 2.0 a ainsi démocratisé la création du contenu, une affirmation qu'il nous semble important de nuancer comme un fossé numérique[3] existe encore pour certaines populations, auquel s'ajoute une certaine fracture sociale. En effet, même en ayant accès au Web, ce ne sont pas tous les internautes qui sont prêts et sont en mesure de participer activement à la création de contenu. Li & Bernoff (2011)[4] proposent une échelle décrivant sept niveaux d'interaction avec le Web, l'échelon 1 étant celui avec le moins d'interaction et l'échelon 7, celui avec l'interaction la plus intense :

Social Technographics ladder (Li & Bernoff, 2011, p.43, notre traduction et représentation)

Échelon

Profil

Caractéristiques

7

Créateur

  • Publie un blogue

  • Publie son propre site Web

  • Télécharge des vidéos qu'il a créés

  • Télécharge de la musique qu'il a créée

  • Publie des articles qu'il a écrit

6

Causeur

  • Met à jour son statut sur un réseau social

  • Publie des mises à jour sur Twitter

5

Critique

  • Publie des évaluations/critiques de produits ou de services

  • Commente sur le blogue d'une autre personne

  • Contribue à des forums en ligne

  • Contribue à des articles sur un wiki

4

Collectionneur

  • Utilise les fils RSS

  • "Vote" pour des sites Web

  • Ajoute des étiquettes à des pages Web ou des photos

3

Social

  • Possède un profil sur un réseau social

  • Visite des réseaux sociaux

2

Spectateur

  • Lit des blogues

  • Écoute des baladodiffusions

  • Regarde des vidéos d'autres utilisateurs

  • Lit des forums en ligne

  • Lit des évaluations/critiques de produits

  • Lit des gazouillis

1

Inactif

  • Aucun des éléments présentés ci-dessus

Plusieurs enjeux peuvent être soulevés en lien avec la culture informationnelle et numérique sur le Web dont les quatre suivants :

Enjeu 1 : Journalisme citoyen

On observe, par l'accessibilité de plus en plus grande des plateformes Web, l'apparition d'un « journalisme citoyen » où l'individu impliqué dans certains événements se sert des plateformes sociales pour diffuser ses pensées sur l'actualité, en parallèle des médias de masse traditionnels. Le message ainsi partagé contourne les filtres potentiels des médias de masse. Ceci ne veut toutefois pas dire que l'information ainsi publiée est exempte de biais; cette forme d'auto-publication, en l'absence de validation, transfère le rôle de validation au lecteur qui doit pouvoir distinguer les fausses nouvelles des vraies.

Enjeu 2 : Réutilisation de l'information

La culture de partage de contenu s'accompagne de pratiques de « remixage » où les internautes utilisent et réutilisent les contenus. Cette réutilisation ne se fait pas toujours dans le respect de la propriété intellectuelle et des droits des auteurs. Pour certains, les lois sur les droits d'auteur sont trop restrictives et viennent en contradiction avec cet esprit de partage. On a ainsi vu au fil des ans se développer des cadres moins restrictifs que les lois sur le droit d'auteur afin de faciliter ce « remixage » et respecter ainsi l'esprit du Web 2.0. Mentionnons à cet égard le Copyleft (gauche d'auteur) et les autorisations Creative Commons qui permettent aux auteurs d'accorder certains droits de réutilisation de leur contenu. N'en demeure pas moins que cette évolution des droits d'auteur doit, à notre avis, s'accompagner d'une sensibilisation des internautes sur le respect des droits d'auteur.

Enjeu 3 : Identité numérique[5] et réputation numérique[6]

Un enjeu important réside dans les traces laissées par l'internaute sur le Web qui concurrent à lui construire une, voire des identités numériques, ce qui n'est pas sans conséquence. Que ce soit volontairement ou non, tout internaute laisse sur le Web des traces, en commentant des blogues, en mettant des photos sur le Web, en ayant un profil public sur Facebook, traces qui pourront servir à la communauté pour se faire une opinion sur lui.

Cette réputation numérique peut parfois les desservir s'ils ne sont pas attentifs aux traces qu'ils laissent. De nombreuses histoires existent d'Internautes n'ayant pas obtenu un emploi, ou ayant perdu leur emploi, pour des photos disgracieuses sur le Web ou pour avoir émis une opinion négative sur son employeur sur la place publique. Le phénomène n'est pas nouveau; le Web 2.0 vient simplement l'amplifier et le compliquer.

Les difficultés proviennent en partie de l'évolution de la notion de sphère publique et de sphère privée. Certains internautes perçoivent comme privées certaines plateformes sans se rendre compte que, comme elles sont ouvertes, l'information qui s'y trouve devient publique.

Ceci se complique du fait que l'information est facilement repérable et récupérable sur le Web et circule très rapidement. Les traces sont presque permanentes. Le "droit à l'oubli" n'est pas un droit automatique dans le Web actuel et l'internaute qui veut rétablir sa réputation numérique n'a pas la tâche facile; des compagnies offrent même maintenant des services afin d'effacer les traces.

À l'opposé, la conscience des auditoires multiples qu'ont certains internautes peut les amener à développer des « personnalités numériques » multiples modulant, selon les occasions, les traces laissées. Un adolescent ayant dans son profil Facebook ses parents comme amis et en étant conscient – ce qui n'est pas toujours le cas – n'y interviendra pas de la même manière qu'un autre inconscient de leur présence ou ne les ayant pas inclus dans son réseau social. Un même individu pourrait ainsi avoir plusieurs « visages » 2.0 rendant difficile à l'observateur extérieur l'identification de sa vraie personnalité.

Enjeu 4 : Effet générationnel

Comme dernier enjeu, nous pouvons penser aux différences générationnelles qui existent dans l'utilisation des médias sociaux. Force est de constater, comme le montrent certaines études sur l'utilisation des technologies de l'information, que différentes générations utilisent le Web différemment. En fait, ce n'est pas uniquement le Web, mais les technologies de l'information en général. Le regard que l'on porte sur ces dernières peut entre autres être influencé par notre génération. Par exemple, les personnes nées avant l'apparition de la téléphonie mobile auront eu comme première utilisation des téléphones un contexte très privé (à la maison), les téléphones étant fixes. Cette conception de l'usage d'un téléphone pourrait se révéler très différente pour quelqu'un n'ayant connu que la téléphonie mobile. On retrouve aussi cette potentielle différence de perspective du numérique entre les personnes natives numériques[7] (digital natives) et les personnes dites immigrantes numériques[8] (digital immigrants).

Se côtoieront dans la société des gens ayant une culture et des pratiques informationnelles différentes ainsi que des attentes diversifiées. Les organisations doivent en prendre conscience et évaluer le meilleur moyen de rejoindre ces différences.