Acceptation et utilisation des technologies
Dans la première section des notes de cours, nous avons adopté une perspective relativement de haut niveau (macro) avec les modèles de l'écologie informationnelle et l'approche de l'informatique sociale. Nous nous attarderons maintenant à la perspective plus micro de l'acceptation et de l'utilisation des technologies.
La recherche sur l'acceptation et l'utilisation des technologies, tout particulièrement dans le domaine des systèmes d'information, est très riche et mature. Plusieurs modèles ont été proposés apportant des éclairages intéressants sous différentes perspectives, que ce soit par exemple au niveau individuel ou au niveau organisationnel. Ces modèles continuent d'évoluer pour prendre en considération l'évolution des technologies, de nouveaux modèles continuant de voir le jour. Plusieurs disciplines, en sus du domaine des systèmes d'information, portent leur attention sur ces questions d'importance dans un monde où la technologie est omniprésente et utilisée par une très grande partie de la population, comme, par exemple, la psychologie et la sociologie.
Présenter un portrait complet de ces modèles pourrait faire à lui seul l'objet d'un cours de 3 crédits, tant cette littérature est riche et foisonnante. Nous nous concentrerons ainsi uniquement sur un modèle très connu et utilisé dans différents contextes pour illustrer différents facteurs qui entrent en ligne de compte dans l'acceptation et de l'utilisation des technologies, soit la Théorie unifiée de l'acceptation et de l'utilisation des technologies (Unified Theory of Acceptance and Use of Technology (UTAUT)).
Modèle UTAUT
C'est au début des années 2000 que Venkatesh et ses collaborateurs (2003)[1] ont proposé le modèle UTAUT. Au regard de la multiplicité des modèles existants sur l'acceptation et l'utilisation des technologies, leur objectif était de proposer un modèle intégrateur. Ils ont identifié et testé 8 des principaux modèles dans le domaine de l'acceptation et de l'utilisation des technologies afin d'identifier les facteurs à retenir. Ils ont par la suite testé le modèle UTAUT résultant de cette analyse. Comme illustré ci-dessous, les auteurs ont identifié quatre facteurs qui influencent l'intention d'utiliser ou l'utilisation des technologies (facteurs déterminants) ainsi que quatre facteurs pouvant avoir un impact sur les facteurs déterminants (facteurs modérateurs).
Trois des facteurs déterminants identifiés peuvent avoir une influence sur l'intention d'une personne à utiliser une technologie (Venkatesh, 2003, p. 447-453) :
Performance espérée : Il s'agit du niveau de croyance d'une personne quant au gain de performance obtenu par l'utilisation d'une technologie. Plus une personne en est convaincue, plus forte sera l'intention de l'utiliser.
Effort attendu : Ce facteur correspond à la facilité ou la difficulté perçue pour utiliser la technologie. Une technologie perçue comme difficile à maîtriser pourrait avoir une influence négative sur l'intention de l'utiliser.
Influence sociale : Il s'agit ici en quelque sorte de la pression sociale quant à l'importance d'utiliser la technologie. L'intention d'utiliser une technologie sera plus grande si la personne perçoit que cette utilisation est importante aux yeux de ses proches.
Ces trois premiers facteurs déterminants ont ainsi une influence sur l'intention qu'une personne aura d'utiliser une technologie. Cette intention d'utilisation aura elle-même une influence sur l'utilisation effective de la technologie.
Le quatrième facteur déterminant, soit la présence de conditions favorables facilitant l'utilisation (par exemple, de la documentation), n'a pas été identifié comme ayant une influence sur l'intention d'utilisation, mais plutôt directement sur l'utilisation comme telle.
Les auteurs ont aussi identifié quatre facteurs motivateurs qui pourraient influencer le lien entre les facteurs déterminants et l'intention d'utiliser ou l'utilisation des technologies soit : le genre, l'âge, l'expérience avec la technologie étudiée, le caractère volontaire ou obligatoire de l'utilisation. Leur analyse leur a permis d'identifier différentes hypothèses quant à la nature de cet effet modérateur (Venkatesh, 2003, p. 447-455) :
H1 : L'influence de la performance espérée sur l'intention d'utilisation va être modérée par le genre et l'âge.
H2 : L'influence de l'effort attendu sur l'intention d'utilisation sera modérée par le genre, l'âge et l'expérience.
H3 : L'influence de l'influence sociale sur l'intention d'utiliser une technologie sera modérée par le genre, l'âge, l'expérience et le caractère volontaire de l'utilisation.
H4a : Les conditions facilitatrices n'auront pas d'influence significative sur l'intention d'utiliser une technologie.
H4b : L'influence des conditions facilitatrices sur l'utilisation d'une technologie sera modérée par l'âge et l'expérience.
Évolution du modèle UTAUT
Suite à la naissance du modèle UTAUT, ce dernier a été utilisé, en tout ou en partie, dans plusieurs recherches pour étudier des contextes très variés d'acceptation et d'utilisation de technologies. Cette utilisation a permis de faire ressortir des forces et des faiblesses du modèle, l'amenant à évoluer. À titre d'exemples, nous expliquerons deux étapes de l'évolution du modèle afin de faire ressortir le caractère évolutif de ce type de modélisation.
Le premier auteur du modèle original, V. Venkatesh, a entre autres poursuivi ses recherches pour permettre à son modèle d'évoluer. Avec d' autres collaborateurs en 2012[2], il a produit une nouvelle version de son modèle, le modèle UTAUT2. Il s'agit d'une évolution du modèle pour un contexte particulier, soit le contexte d'utilisation des consommateurs, qui diffère ainsi du contexte initial (contexte organisationnel). Trois facteurs déterminants ont été ajoutés aux quatre facteurs du modèle original soit (Venkatesh et al., 2012, p. 161-162) :
Motivation hédonique : Il s'agit du plaisir produit par l'utilisation d'une technologie qui est un facteur pouvant influencer l'intention d'utiliser une technologie.
Valeur monétaire : Le coût associé à une technologie est un facteur qui peut influencer l'utilisation d'une technologie. Lorsque le coût d'utilisation est inférieur au bénéfice escompté (la performance espérée par exemple), ce facteur possède une influence positive sur l'acceptation de la technologie.
Habitude : L'habitude se définit comme la croyance qu'un comportement est automatique.
De plus, un facteur modérateur du modèle initial a été retiré, soit le caractère volontaire ou obligatoire de l'utilisation, ce dernier ne s'appliquant pas au contexte des consommateurs (l'utilisation étant volontaire).
Venkatesh et ces mêmes collaborateurs[3] ont publié un texte en 2016 présentant une synthèse du modèle et proposant des pistes pour son évolution. Ils l'ont entre autres examiné à la lumière de deux cadres théoriques afin de l'enrichir. Ils ont produit, à partir de cette analyse critique, un cadre de référence multi-niveaux pour l'acceptation et l'utilisation des technologies où ils réorganisent les modèles UTAUT et UTAUT2 et y ajoutent deux couches supplémentaires (Venkatesh et al., 2016, p. 346-347) :
Facteurs contextuels de haut niveau : Il s'agit des caractéristiques environnementales (par ex. l'environnement physique), organisationnelles (par ex. la culture organisationnelle) et locales (par ex. la compétition au niveau local). Il est intéressant de retrouver ici le même constat que les approches de l'informatique sociale et de l'environnement informationnel présentées précédemment mettent de l'avant, soit le fait qu'il faut considérer une technologie, et donc son acceptation et son utilisation, en prenant en compte l'environnement plus large dans lequel elle existe.
Facteurs contextuels sur le plan individuel : On retrouve ici les caractéristiques des utilisateurs (par ex. l'âge, le genre et l'expérience), les caractéristiques des technologies, les caractéristiques des tâches et les événements.
En résumé...
Rappel :
L'examen de la Théorie unifiée de l'acceptation et de l'utilisation des technologies (UTAUT) et de ses évolutions permet de constater la présence de :
facteurs déterminants pouvant influencer l'intention d'utiliser une technologie ou son utilisation : la performance espérée, l'effort attendu, l'influence sociale, les conditions facilitatrices. Dans le contexte d'utilisation des consommateurs s'ajoutent comme facteurs la motivation hédonique, la valeur monétaire et l'habitude.
facteurs contextuels de haut niveau pouvant influencer l'acceptation et l'utilisation des technologies : les caractéristiques environnementales, organisationnelles et locales.
facteurs contextuels sur le plan individuel pouvant influencer l'acceptation et l'utilisation des technologies : les caractéristiques des utilisateurs, des technologies et des tâches effectuées.
Tout comme pour les méthodes de l'écologie informationnelle et de l'informatique sociale, nous arrivons ici aussi à la conclusion qu'une technologie ne vit pas en vase clos. Les modèles comme UTAUT apportent un regard plus précis sur les facteurs venant influencer son acceptation et son utilisation.